UN SOMMET INTERNATIONAL DU GENE POUR QUOI FAIRE ?

Publié le par Guy Kastler

Le « sommet international du gène » organisé le 28 octobre à l’Unesco à Paris a pour ambition de promouvoir les apports de la génétique à la biodiversité et au développement durable. Quelles sont les dernières pistes mises à l’ordre du jour par les firmes et l’agenda politique ?

 

La Commission Européenne semble accepter peu à peu l'idée d'interdire sur une partie du territoire européen la culture des OGM pesticides "de première génération". Cela lui permet de calmer l’opposition citoyenne tout en laissant les firmes semencières promouvoir en Europe leurs nouveaux OGM « clandestins" ou « sécurisés" et continuer à contaminer le reste de la planète avec leurs premiers gènes brevetés. Les biotechnologies brevetables de modification artificielle du génome autres que la transgénèse (mutagénèse, manipulations et fusion cellulaires…) sont en effet devenues industrialisables. Les nouvelles techniques de verrouillage biologique (gènes « suicides » ou « zombie », nanoparticules…) sont en fin de mise au point dans les laboratoires de recherche : au nom de la protection de l’environnement, elles sécurisent avant tout le brevet. Les semenciers, soucieux de protéger leur développement par un cadre juridique garantissant leur monopole absolu, se démènent pour fondre le COV (Certificat d'Obtention Végétale sur la variété) et le brevet sur le gène. Ce super-cumul leur permet de s’approprier les récoltes des paysans qui ne se soumettent pas à leurs royalties. Il les affranchit aussi de toute information du consommateur sur les méthodes de manipulation génétique utilisées autres que la transgénèse. Il leur permet enfin de ne pas indiquer l'origine des variétés utilisées et légalise ainsi le biopiratage des semences sélectionnées et conservées par les communautés paysannes.

 

Les droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre leur semence reproduites à la ferme, de les protéger du biopiratage et des contaminations par des gènes brevetés et d’accéder aux collections publiques où sont enfermées celles de leurs parents, sont pourtant inscrits dans la CDB1, le Protocole de Carthagène et le TIRPAA2, tous ratifiés par la France et l’Union Européenne... Mais contrairement aux droits de propriété privés des obtenteurs, ces droits d’usage collectifs des agriculteurs ne sont toujours pas transcrits dans les lois et les réglements.

 

Campées sur une définition non scientifique, mais politique, de la variété stable et homogène, les lois semencières soutiennent en effet que "la variété dégénère dans le champ du paysan" , et dès lors, interdisent les semences paysannes diversifiées et variables. Ces dernières constituent pourtant la totalité de la matière première des obtenteurs qui se sont arrogé le droit de les sélectionner et maintenant de les séquencer pour produire leurs variétés protégées et leurs gènes brevetés... Cette biopiraterie est légalisée d’abord en 1962 par la loi autorisant le dépôt d’Obtentions Végétales sur des découvertes et non uniquement sur des inventions comme pour le brevet. En contrepartie, les pratiques traditionnelles de reproduction et d’échange de semences de ferme restent tolérées. Cette tolérance n’est cependant que provisoire. Dès 1991, la nouvelle convention de Union pour la Protection des Obtentions Végétales fait de la semence de ferme une contrefaçon. Mais la définition de la variété protégée par ses seuls caractères morphologiques rend très difficile la preuve de la contrefaçon et le prélèvement des royalties. Les bidouillages juridiques du type des accords interprofessionnels imposant la CVO blé tendre ou obtenant des trieurs à façon qu’ils prélèvent les royalties pour le compte des semenciers ne sont pas généralisables. Avec le fichage génétique, la variété protégée est par contre immédiatement identifiable dans le champ du paysan qui est alors traîné en justice s’il ne s’est pas acquitté pas de ses royalties. C’est pourquoi, après avoir imposé en 1998 la reconnaissance du brevet sur le gène et sa fonction, les semenciers proposent aujourd’hui de le généraliser en définissant la variété par marquage moléculaire.

 

Leurs recherches s'orientent désormais vers la fabrication de plantes entières à partir de gènes synthétiques. Les graines vivantes ne seront alors plus indispensables, seule leur séquence génétique qui peut être obtenue à partir de graines mortes sera nécessaire. C’est pourquoi l’ensemble des semences prélevées dans les champs des paysans du monde ont été enfermées cet hiver en Norvège dans la "Banque de l'Apocalypse" d’où elles ne ressortiront plus pour être régulièrement replantées afin de garder leur fertilité. Pendant ce temps, les banques de semences nationales parfois encore accessibles aux paysans qui veulent retrouver leur autonomie semencière sont déstructurées ou abandonnées. Cette confiscation de l'ensemble de la biodiversité mondiale ouvre la porte à un crime contre l'Humanité : remplacer la biodiversité naturelle par des assemblages de gènes artificiels permet de remplacer un bien commun par la propriétés privée d’une poignée de multinationales ; séparer la biodiversité des milieux naturels avec lesquels elle co-évolue et interdire son renouvellement dans les champs des paysans prive les générations futures de la diversité génétique dont elles auront besoin pour se nourrir.

 

En ressemant une partie de leur récolte, les paysans adaptent en effet naturellement leur variété à la diversité des terroirs, mais aussi aux changements climatiques, économiques, sociaux…de plus en plus rapides. L'hétérogénéité et la variabilité génétique de leurs variétés permet seule cette adaptation en assurant la stabilité des récoltes. Les plantes génétiquement manipulées font au contraire chaque jour la démonstration de leur incapacité à pousser sans un recours inflationniste aux engrais et pesticides chimiques que notre environnement et notre santé ne peuvent plus supporter.

 

Pour faire accepter cette privatisation des semences, la CDB promet d’en partager les avantages avec les paysans qui ont sélectionné et conservé les variétés utilisées. Cette promesse n’est qu’illusion : les droits d'usage collectifs des paysans, inaliénables et souvent non écrits, ne se partagent pas en titres de propriété individuels et aliénables. De plus, les COV sont déposés sans indication des variétés utilisées et les brevets sur les gènes sans indication des plantes dans lesquelles il ont été découverts : sans information, aucun partage n’est possible.

 

En réduisant la biodiversité à sa composante génétique, le sommet européen du gène légitimera-t-il les outils techniques qui permettent de renforcer sa destruction par le brevet et le COV, ou bien reconnaîtra-t-il la primauté des droits collectifs des paysans, seuls à même de sauver la biodiversité et la souveraineté alimentaire des peuples ?

1 Convention sur la Diversité Biologique, dite « de Rio »

2 Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation

 

 

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